Comme un roman

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Pourquoi republier un livre déjà existant? C’est une question que l’on me pose souvent. Pourquoi?

Je cite souvent ma propre préface :

« À la première lecture, je me répétais : C’est parfait, c’est dit, c’est expliqué, tout est là, l’amour des livres et de la lecture, leur importance, les lectures à haute voix dans la classe, l’impact de ces lectures… Et tout cela écrit de la main d’un amoureux des livres. C’est dit, écrit, tout le monde va comprendre, nous pourrons passer à une autre étape.

Eh bien, non.

Vingt-cinq ans plus tard, cet essai a conservé toute sa pertinence. Comme un roman est l’avant-dernier livre écrit par Daniel Pennac à la machine à écrire : une autre époque technologiquement parlant, mais les mêmes incompréhensions autour de la lecture.

Au Québec, environ un citoyen sur deux abandonne la lecture une fois sa scolarité obligatoire achevée… et je ne parle pas ici de décrocheurs, mais de celles et de ceux qui ont réussi leurs études.

Une personne sur deux.

Cet état de choses est presque mondial. Il est temps de nous attaquer à la source de ce triste bilan : il nous faut former des élèves-lecteurs et non pas nous accommoder simplement de liseurs.

Pas d’attentes minimes. Juste du grand, du magistral.

Daniel Pennac décrit avec brio les causes et les racines de cette non-lecture. Alors que nous sommes à l’ère de marchandisation de l’éducation et de la lecture, de surabondance de tests, de clientélisation des élèves, de confusion entre performance et réussite, ses propos sont toujours aussi forts que généreux, aussi profonds que vrais. Audacieux, Pennac? Non, tout simplement honnête. Et lecteur.

Faire de nos élèves, de nos enfants, des lecteurs-pour-toujours, c’est ce que Comme un roman défend ici avec intelligence selon des principes qui devraient guider nos discussions et nos actions. »

Et s’il fallait une raison supplémentaire, nous avons publié une fort jolie édition, avec les dessins du grand Quentin Blake, l’illustrateur de Roald Dahl.

Comme éditeur, je m’étais dit, eh bien, qu’un jeune éditeur ait réussi à convaincre Gallimard de le laisser publier cette belle édition inédite en français, ça va faire les nouvelles, les journaux vont en parler. C’est un événement, quand même. Et qu’en plus, l’essai de Daniel est tout aussi pertinent aujourd’hui qu’il y a 25 ans, ça aussi, ça méritait d’être discuté sur la place publique : pourquoi a-t-on toujours des problèmes à faire des élèves des lecteurs?

Or, les médias n’ont à peu près rien souligné. Ma déception, vous savez, est énorme.

Dans cet essai brillant, la source du mal est clairement écrite noir sur blanc par Daniel, dans une langue si amoureuse, sans reproches; que des constatations et d’excellentes questions… et un début de la réponse.

« Et si, au lieu d’exiger la lecture le professeur décidait soudain de partager son propre bonheur de lire? »

Ouais, ce n’est pas tout, mais c’est le départ. Trop englué dans la bureaucratie de notre travail, on perd parfois de vue les objectifs de celui-ci. Les examens et la bureaucratie ne sont pas une fin, mais parfois, nous l’oublions et c’est le début de cette distance avec la lecture. Nous imposons fiches, questions, rapports qui enlèvent un temps précieux à la lecture et aux échanges (le grand problème ici est que peu d’enseignants – et de députés… et de ministres… et de journalistes… et de parents… –  ont connu une scolarité autour des livres, plutôt qu’à propos des livres). Ajoutons à ça des médias absents de cet échange (mais qui critiquent régulièrement…) et une société dont les attentes sont assez basses, disons-le :

« Ce que tu attends, toi, c’est qu’ils te rendent de bonnes fiches de lecture sur les romans que tu leur imposes, qu’ils « interprètent » correctement les poèmes de ton choix, qu’au jour du bac ils analysent finement les textes de ta liste, qu’ils « commentent » judicieusement, ou « résument » intelligemment ce que l’examinateur leur collera sous le nez ce matin-là… Mais ni l’examinateur, ni toi, ni les parents ne souhaitez particulièrement que ces enfants lisent. Ils ne souhaitent pas non plus le contraire, note. Ils souhaitent qu’ils réussissent leurs études, un point c’est tout! Pour le reste, ils ont d’autres chats à fouetter. »

Vous l’avez compris, je trouve que cet essai est magistral et unique. Il mérite d’être remis sur la place publique et lu par les parents, par les décideurs, par les enseignants, par les formateurs et par les futurs enseignants.

Je termine avec deux extraits d’un texte de Daniel, intitulé Gardiens et passeurs :

« Les élèves entrent trop souvent dans une librairie comme dans une pharmacie. Ils se présentent au libraire avec la fameuse « liste des livres à lire » comme un patient avec son ordonnance. Ils voient le libraire disparaître dans son officine, la liste à la main, et ressurgir derrière la pile des œuvres « prescrites ».

Cette conception pharmacothérapeutique de la librairie est la conséquence d’un enseignement médicolégal de la littérature. Depuis la nuit des temps, la méthode est la même, seuls les outils changent. Nous nous emparons des textes, les découpons en morceaux sur la table de dissection, avec le faux espoir que nos élèves trouveront dans leurs entrailles la beauté rédemptrice et le sens libérateur. Cette initiation chirurgicale aux belles-lettres pétrifie le plus grand nombre. Tout « choisis » qu’ils soient, nos morceaux de cadavres effraient nos écoliers. Les commentaires que nous attendons d’eux gèlent dans leur gorge, et nous en concluons hâtivement qu’ils ne s’intéressent pas à la littérature. Et, par conséquent, qu’ils « n’aiment pas lire ». S’ils « n’aiment pas lire », la responsabilité n’est pas nôtre, elle incombe au monde entier avec son cortège de télévisions, de chômage, de familles monoparentales, d’émigration intempestive, de consommation tous azimuts, de cybertentations… La faute au système, la faute à la modernité, la faute à tout ce qu’on voudra, mais pas la nôtre, nous qui sommes des instances si convaincantes! »

Bref, bref, Comme un roman est un essai formidable sur la lecture et ce qu’elle devrait être dans nos écoles. En serez-vous un ambassadeur? En serez-vous un passeur?

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